Laura. Portland, Oregon
C’est le milieu de l’été. Chez moi, il se tranche en deux comme une orange et se dévore. Dans les montagnes écartées, sur les places des villages où s’étranglent des fontaines puisant dans des torrents enfouis encore dans la terre à la recherche de sa fraîcheur. Ici, l’été est retenu dans une gangue de pluie - canopée de chaleur morte qui coiffe la ville jusqu’à l’océan. Parfois, elle se déchire, nous baigne comme une étuve. Puis elle refait son maillage de nuages, nous laissant dans une lumière blanche, sans éclat.
L’été ploie. On dirait une prairie de roseaux, à perte de vue, courbés sous le crachin. Il ploie et fluctue, s’éloigne. Les rues de Portland sont tapissées de ces mouvements. L’été semble poursuivre un temps débuté, disons, au sortir de l’hiver, encore embué de neige. Avec son passé de forêt, la ville ne prête guère attention aux éclosions de verdure. Elle s’intéresse seulement à celles des roses, omniprésentes, lourdes et buissonneuses ; elle avance même l’équinoxe pour leur parade. Nous avons vu leur carnaval bigarré, cette année, et quelque chose de leur parfum a pénétré jusqu’à l’appartement, a adouci l’âpreté de l’air.
Les rez-de-jardin sont des caves ouvertes. Aucune maison ne peut effacer leur odeur d’humidité. C’est le deuxième que nous habitons ici - le premier donnait sur un bois. La nuit, je redoutais la vitre sans volet, sans rideau. Celui-ci est tout aussi vaste et s’ouvre sur une terrasse négligée. Nous sommes en surplomb d’une avenue, blottis contre des racines d’arbres qui répandent sur la maison une ombre que nous ne voyons jamais car malgré la terrasse, la lumière nous parvient verticale. Aussi, en dépit de l’espace, des meubles confortables, nous nous sentons à l’étroit. Ou plutôt, nous avons l’impression de ne pas être au bon endroit. Nous ralentissons nos gestes, inconsciemment. Comme pour ne pas épuiser nos réserves d’oxygène ou ne pas déranger les occupants du dessus, dont de temps à autre nous entendons les pas dans l’escalier. Ils ont une pesanteur dont nous sommes dépourvus. Nous nous croisons parfois dans le garage, lorsque nous sortons de chez nous. Parfois aussi, dans la rue. En fait, nous nous évitons mutuellement, et jamais nous n’empruntons l’escalier intérieur qui donne dans leur cuisine.