Avec la découverte d’Imelda, exercice vertigineux qui nous emmène dans l’ambiguïté de la vérité, du mensonge et de la folie. Au pays des fantômes, la folie se terre…
Selon toute vraisemblance, John Herdman voit double. Abus de whisky écossais ou mauvais diagnostic d’opticien ? Toujours est-il que la dualité est au cœur de son œuvre poétique et romanesque — il est même l’auteur d’une studieuse étude sur le double dans la littérature du XIXe siècle.
Né à Edimbourg en 1941, ce diplômé de Cambridge a été comparé outre-Manche à Robert Louis Stevenson et James Hogg. Analyste du nationalisme écossais, Herdman est également connu pour un essai consacré aux chansons de Bob Dylan. Ce ne sont que quelques facettes d’un homme insaisissable, jamais traduit jusqu’alors dans l’Hexagone. L’injustice est réparée, avec la découverte d’Imelda, exercice vertigineux qui nous emmène dans l’ambiguïté de la vérité, du mensonge et de la folie.
Le roman s’ouvre sur la lettre de Janice (nom qui évoque phonétiquement Janus, le dieu au double visage, l’un tourné vers le passé, l’autre vers le futur), jeune femme adoptée à la recherche de ses origines. Tout juste sait-elle qu’elle est orpheline de père. Qu’est devenue sa mère? Elle écrit alors à un parent éloigné, le Major Agnew, car elle suppose appartenir à cette dynastie basée à Lemington. La réponse du Major ne se fait pas attendre: sa mère Imelda est morte. Il joint à son courrier deux documents photocopiés (attention, une figure du double) censés éclairer Janice sur la vérité: le récit de son oncle Frank (un schizophrène paranoïaque surnommé Superbo!), et le témoignage d’un cousin de sa mère (et… de son père, aussi), Robert Affleck. Cette double version de la vérité constituera les deux parties du récit. Est-il besoin de préciser qu’elles s’avéreront quelque peu contradictoires? «Imelda, Imelda, nous as-tu vraiment quittés, bel ange radieux? Dans quels champs élyséens chemines-tu à présent?» s’interroge l’oncle Frank, grand amateur de mycologie. Ce n’est pas un hasard: la duplication des champignons est une parfaite allégorie des vérités qui se superposent.
John Herdman s’amuse à construire un puzzle, dont il aurait mélangé les modèles. S’il pose la question de la filiation, des secrets de famille et autres mystères consanguins, il s’interroge sur une société poussiéreuse qui cache ses zones d’ombre derrière le vernis des mots (d’où ce style volontiers emphatique, que l’auteur détourne avec brio). Pas étonnant, en fin de compte, que Herdman nous vienne d’Ecosse: ne vit-il pas au royaume des fantômes, ces doubles des vivants?