À quel aventurier, à quel chercheur d’or Ölström Creek devait-il son nom ? Sans doute à l’un de ces bons à rien de Suédois toujours à moitié saouls, qui avait troqué sa bêche de cueilleur de pommes de terre pour celle de brasseur de sable… Pelle et tamis, toutes sortes de tamis et de bassines, un équipement qu’on ne cessait de vanter aux oreilles naïves comme le début de la fortune.
Ölström avait-il été l’un de ces veinards qui tombent sur une énorme pépite ? Avait-il servi d’exemple à tous les mangeurs de pommes de terre qui rêvaient d’Eldorado ? Il était à parier que nul ne savait rien à ce sujet, que le Suédois en question, riche ou pas, avait bel et bien disparu de la mémoire collective, et qu’il ne restait de son passage que le nom d’un village vivant de la coupe du bois.
Mark Kyrienko s’était renseigné sans succès à ce propos. N’avait-il pas lui-aussi, comme le héros fondateur, un patronyme exotique ? Après trois ou quatre essais auprès des autochtones, il avait renoncé. Ölström Creek s’appelait ainsi, à quoi bon savoir pourquoi ? Qu’on parlât d’un Suédois ou d’un Kyrienko, à vrai dire, quelle importance ? Les forêts étaient ce qu’elles étaient de toute éternité, et la scierie aussi, celle d’Allan Monclar, un Québécois, un débrouillard, un dur qui ne s’était jamais intéressé à rien d’autre qu’à ses affaires. Il y avait dans ce monde des Ölström et des Monclar… Et il y avait tous les autres, les Kyrienko, et les moins que Kyrienko, les mangeurs de pommes de terre qui, un siècle après les premiers arrivants, n’avaient rien changé à leurs habitudes prolétaires, ou peu de choses, un article lu dans un magazine, une émission de télé, un match de foot ou de baseball, un air à la mode écouté dans le seul bar à posséder un juke box.
Le « Pearl of North » n’avait de perle que son nom. C’était le parfait trou à rat dont on peut rêver dans le Grand Nord quand il neige quinze jours d’affilée, quand il fait un froid à fendre les pierres, quand, avec un plaisir indicible, on ôte ses moufles et on commande au comptoir un bourbon servi dans l’un de ces verres grossiers qui donnent à l’alcool une allure fondamentale et tellurique.
Le Pearl of North n’était qu’un trou à rat, mais on pouvait parfaitement se faire à ses meubles gras et massifs, à son plancher de pin piqué de sciure et de paille. On pouvait parfaitement s’accommoder de la rangée d’ampoules aveuglantes qui brillaient au comptoir. On pouvait d’ailleurs se faire ici à tout pourvu que du poêle rayonnât une bonne chaleur.
Mark hantait ce lieu depuis une semaine.