Enfant, je voulais devenir savant fou.

J’avais dix ans, je portais en permanence une blouse de chimiste en coton qui descendait à mes chevilles.

Ma chambre était un laboratoire. Elle a explosé en 1996, à cause des produits chimiques. Le 18 janvier, au matin.

Mes sourcils sont en feu.

Je sors de ma chambre. Je n’ai plus de sourcils. Ma mère se tient au bout du couloir.

― Qu’as-tu fait de tes sourcils, crie-t-elle, horrible enfant ! On va t’emmener chez le taxidermiste !

Le 1er février 1990, pour me punir, on procède à l’ablation de mes végétations. J’ai trois ans et demi.

Un peu avant l’opération, le chirurgien me dit :

― Je vais passer par ta bouche, tu ne sentiras rien.

Je lui demande s’il a déjà fait ça et il me répond que oui, bien sûr, oui. Je sais qu’il est en train de mentir. Je prends une voix bizarre et je lui dis :

― Je vais passer par ta bouche.

J’ai renoncé, peu à peu, à devenir savant.

Je suis fou, par contre.

Maintenant, au lieu de porter une blouse de chimiste, je porte une barbe, ou un sac.

Ça me fait tout drôle quand je pense à tous ces gens qui me croisent tous les jours sans savoir que c’est moi.