Roman mosaïque, Constellation raconte l’Europe d’aujourd’hui à travers les destinées d’un petit groupe de personnages évoluant dans les sphères du pouvoir. Entre France, Allemagne et Bénélux, ils forment comme un archipel de voix singulières, s’interpellant et se prenant à partie d’une capitale à l’autre. Tel un duo franco-allemand déréglé, Emanuel T et Stein sont l’œil de ce cyclone transfrontalier, en discorde avec Carla et Isabel M, femmes de tête rivales, comme avec Subor, l’homme de réseau pragmatique, Frau, l’ambigu ou Neuman, le vieux maître tutélaire…
Vivant dans une tension constante à l’extra-territorialité, chacun est travaillé par la question du supranational : ainsi en va-t-il d’un jeu d’alliances stratégiques aussi bien qu’érotiques. Qui est donc cette jeune interprète — figure quasi mythique et irréelle — qui hante Emanuel T et Stein au point de personnifier leur fantasme à la fois intime et politique ?
Ouvrage résolument singulier, Constellation esquisse une vue en coupe des milieux politiques européens à la manœuvre en osant une fiction incarnée – le concert des nations, c’est vivant, sexuel, pulsionnel. Et montre la mutation à l’œuvre depuis cinquante ans.
Un premier roman ambitieux et original.
Constellation, le premier livre d’Alain Lacroix, surprend d’abord par sa forme. Elle est extrêmement complexe, faisant alterner les monologues intérieurs ou les dialogues d’une demi-douzaine de protagonistes, tout en ménageant de longs apartés au cours desquels l’auteur semble reprendre la parole, apporter un éclairage objectif, une perspective historique, géographique, sur l’action en cours. De surcroît, ce récit éclaté, qui dessine une sorte de mosaïque, ménage de nombreux sauts dans le temps, même s’il se passe essentiellement à notre époque.
Mais à cette ambition, bien tenue, qui vise à créer un concert de voix, dissonantes ou semblables, s’en mêle une autre, qui concerne davantage le fond, le sujet même de l’ouvrage. Il s’agit pour Alain Lacroix de décrire ces quelques organismes du pouvoir qui gravitent comme des comètes (ou, bien sûr, des «constellations») autour d’une entité centrale, jamais nommée, mais que l’on peut identifier comme étant le Parlement européen. A travers la trajectoire de ses personnages, l’écrivain montre «les grands corps constitués de la société : cette néo-aristocratie en train de prendre les choses en main» ou encore ceux qui habitent «les entrailles du Moloch technocratique». On peut donc également trouver une réflexion politique éclairante dans l’étude que fait Alain Lacroix d’un de ces groupes politico-économiques très influents, sans que soient pour autant négligées les relations de pouvoir, d’amitié ou de sexe qui lient les personnages.
Il faut saluer comme il se doit l’ambition de Constellation, celle d’un roman «politique», genre inexistant dans la littérature française d’aujourd’hui.
A priori, difficile de trouver un sujet moins sexy que la construction européenne. Et pourtant, dès qu’on y réfléchit, on se rend compte de ce qu’il y a de romanesque : l’Europe, c’est la question de l’origine, celle de l’espace, des frontières, de l’histoire, de la guerre, du pouvoir, des langues et, finalement, d’un des grands échecs de l’histoire occidentale moderne. C’est à ces questions que s’attaque Alain Lacroix (né en 1971, déjà lu dans Pylône) dans ce remarquable premier roman : à travers une poignée de personnages de pouvoir (lobbies, think-tanks, bureaucratie de Bruxelles), il explore le mythe européen sous tous ces aspects, ausculte ses errements et son absence de projet («Europa glisse progressivement vers une logique anti-historique, un rôle de pure Cassandre, de modérateur mondial, de super-Scandinavie. Elle ne revendique aucune vision politique sinon celle du “plus jamais ça”»), imagine des stratégies de recomposition.
En résulte un livre passionnant, mélange délibérément mal battu de fiction et d’essai, truffé d’intuitions géopolitiques et de beaux morceaux de littérature (les tableaux du Benelux et de l’Allemagne, splendides). On pense lointainement au Dans la foule de Mauvignier, l’un des rares romans à avoir abordé, sur un autre registre, le thème de l’Europe comme projet politique. Malgré ses nombreux défauts, dans la conception (un parti-pris de «théorisme» qui empêche les personnages de s’incarner, un assemblage très confus) comme dans le style (l’usage compulsif du tiret, sans parler, pour l’édition, de beaucoup trop de coquilles), il faut saluer comme il se doit l’ambition de Constellation, celle d’un roman «politique», genre inexistant dans la littérature française d’aujourd’hui.